REPUBLIK Éléments (sortie de l’album le 13 novembre 2015)
Frank Darcel aurait pu se satisfaire d’un statut rare de monument historique du rock français élégant. Son pedigree parle pour lui : Marquis de Sade, Octobre, Senso, sa trilogie de groupes Rennais successifs a ouvert des voies, depuis défrichées par d’autres. Il a parallèlement assumé les guitares du premier album d’Etienne Daho, puis la production du “Grand Sommeil” et de La Notte La Notte. D’autres albums réalisés par la suite, pour Alan Stivell, ou encore au Portugal pour GNR et Paulo Gonzo, lui permettent d’accrocher des disques d’or au mur de sa cuisine…
Devenu éditeur et romancier, Darcel n’a cependant pas résisté à l’envie de reprendre sa Gibson dans les années 2010 pour fonder Republik. Après un premier EP, I Thought War Was Over, quelques concerts et des ajustements de casting, le groupe trouve sa raison d’être avec une équipe soudée (Eva Montfort à la basse, Federico Climovitch, Stéphane Kerihuel à la guitare) et un premier album habité.
Entre quelques concerts prestigieux, aux Transmusicales, puis avec Etienne Daho lors de dates phares de sa tournée Diskönoir, Republik a enregistré Elements en Bretagne, en Belgique et à New York. Un disque ample et hanté décoré de nervures dessinées par les invités du groupe. Un casting prestigieux qui réunit Yann Tiersen au violon, Tina Weymouth et Chris Frantz, soit la section rythmique légendaire de Talking Heads et Tom Tom Club, James Chance, autre new yorkais mythique, icône de la No Wave (dont Darcel a d’ailleurs réalisé le dernier album), Wendy James (Transvision Vamp), Christian Dargelos (Marquis de Sade, Les Nus) et les complices Yann Le Ker (Modern Guy, Lio…) et Xavier “Textino” Géronimi (Bashung, Daho, Indochine…) aux guitares acérées.
Mais, si cet aréopage raffiné constitue les éclats de mica qui décorent le granite de Republik, la force vive qui traverse cet album vient de la cohésion remarquable qui lie les quatre membres de ce groupe, et les pousse, ensemble et compacts, dans les retranchements d’un rock construit sur des guitares et du lyrisme. Douze titres chantés en anglais, en allemand, et en français par un Frank Darcel qui dans l’exercice se révèle chargé d’émotion.
Premier chapitre brillant d’une saga qu’on espère longue, Elements redonne au rock son sens primal : à la fois réfléchi et à fleur de peau, sensible et direct. Des chansons sculptées pour exister en live, toutes de climats et d’atmosphères sombres et prenantes. Sur ses entrelacs de guitares se dessinent des landes brumeuses, des crépuscules menaçants, des villes altières, mais aussi les moments de sérénité d’un rock littéraire, qui lorgne vers Faulkner autant que vers Anatole Le Braz.
La somme des Éléments constituant le Tout, il est temps, désormais, de s’abandonner au son de Republik, avant que ne sonne l’heure de l’Ankou.
Jean-Éric Perrin